Kant

La personne

Or je dis : l’homme, et en gĂ©nĂ©ral tout ĂȘtre raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volontĂ© puisse user Ă  son grĂ©; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-mĂȘme que dans celles qui concernent d’autres ĂȘtres raisonnables, il doit toujours ĂȘtre considĂ©rĂ© en mĂȘme temps comme fin. Tous les objets des inclinations n’ont qu’une valeur conditionnelle; car, si les inclinations et les besoins qui en dĂ©rivent n’existaient pas, leur objet serait sans valeur. Mais les inclinations mĂȘmes, comme sources du besoin, ont si peu de valeur absolue qui leur donne le droit d’ĂȘtre dĂ©sirĂ©es pour elles-mĂȘmes, que, bien plutĂŽt, en ĂȘtre pleinement affranchi doit ĂȘtre le souhait universel de tout ĂȘtre raisonnable. Ainsi la valeur de tous les objets Ă  acquĂ©rir par notre action est toujours conditionnelle. Les ĂȘtres dont l’existence dĂ©pend toujours, Ă  vrai dire, non pas de notre volontĂ©, mais de la nature, n’ont cependant, quand ce sont des ĂȘtres dĂ©pourvus de raison, qu’une valeur relative, celle de moyens, et voilĂ  pourquoi on les nomme des choses; au contraire, les ĂȘtres raisonnables sont appelĂ©s des personnes, parce que leur nature les dĂ©signe dĂ©jĂ  comme des fins en soi, c’est-Ă -dire comme quelque chose qui ne peut pas ĂȘtre simplement comme moyen, quelque chose qui par suite limite d’autant toute facultĂ© d’agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect). (...) C’est donc en mĂȘme temps un principe objectif dont doivent pouvoir ĂȘtre dĂ©duites, comme d’un principe pratique suprĂȘme, toutes les lois de la volontĂ©. L’impĂ©ratif pratique sera donc celui-ci : Agis de telle sorte que tu traites l’humanitĂ© aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en mĂȘme temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.

Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, 1785

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