À cela, je réponds qu’il ne faut opposer la force qu’à la force injuste et illégitime. Que quiconque résiste en toute autre circonstance attire sur lui une juste condamnation, à la fois celle de Dieu et celle des hommes; et qu’il ne s’ensuit point que toutes les fois qu’on s’opposera aux entreprises d’un Souverain, il en doive résulter des malheurs et de la confusion. (…)
Mais si le procédé injuste du Prince ou du Magistrat s’est étendu jusqu’au plus grand nombre des membres de la société, et a attaqué le corps du peuple; ou si l’injustice et l’oppression ne sont tombées que sur peu de personnes, mais à l’égard de certaines choses qui sont de la dernière conséquence, en sorte que tous soient persuadés, en leur conscience, que leurs lois, leurs biens, leurs libertés, leurs vies sont en danger, et peut-être même leur religion, je ne saurais dire que ces sortes de gens ne doivent pas résister à une force si illicite dont on use contre eux. C’est un inconvénient, je l’avoue, qui regarde tous les gouvernements, dans lesquels les conducteurs sont devenus généralement suspects à leur peuple, et il ne saurait y avoir d’état plus dangereux pour ceux qui tiennent les rênes du gouvernement, mais où ils soient moins à plaindre, parce qu’il leur était facile d’éviter un tel état; car, il est impossible qu’un Prince ou un Magistrat, s’il n’a en vue que le bien de son peuple et la conservation de ses sujets et de leurs lois, ne le fasse connaître et sentir; tout de même qu’il est impossible qu’un père de famille ne fasse remarquer à ses enfants, par sa conduite, qu’il les aime et prend soin d’eux.