Braud (Philippe)

Clarification des multiples significations attachées au mot “politique”

La politique. C’est la scène (un champ, dirait Pierre Bourdieu) où s’affrontent des individus et des groupes en compétition pour l’exercice du pouvoir. Concrètement, cela rend compte, pour l’essentiel, de la concurrence entre partis et personnalités politiques pour accéder au contrôle de l’État, des collectivités locales, voire d’organisations internationales. Cette définition renvoie à des expressions courantes comme « faire de la politique » ou encore effectuer « un choix politique », par opposition à un choix purement technique.

La politique peut aussi revêtir une tout autre signification dans des expressions telles que « la politique gouvernementale », « la politique de santé », « les politiques publiques », etc. Il s’agit alors d’identifier un ensemble, réputé cohérent, d’intentions et de décisions, attribuables à des dirigeants agissant dans le cadre de leurs compétences institutionnelles. Enfin, la politique peut être considérée, dans une troisième acception, comme l’art de gouverner les hommes vivant en société. Il s’agit d’un usage fréquent dans la littérature philosophique.

Le politique. Cet emploi du mot permet d’approcher de manière plus compréhensive l’objet de la science politique. On peut en effet désigner sous ce terme un champ social d’intérêts collectifs contradictoires ou d’aspirations collectives antagonistes que régule un pouvoir détenteur de la coercition légitime.

Une telle définition mérite d’être explicitée. Si, dans la société, il n’y avait pas de conflits de rationalités entre patrons et salariés, entre producteurs et consommateurs, entre actifs et retraités, entre villes et campagnes, entre religions, groupes ethniques, minorités linguistiques, etc., sans oublier les conflits potentiels au sein de chacun de ces groupes, s’il n’y avait que complémentarités et convergences, il ne serait pas nécessaire d’édicter des normes contraignantes, sanctionnées au besoin par la force. Le policier et le juge deviendraient inutiles ; au gouvernement des hommes se substituerait l’administration des choses. En réalité, c’est bien l’existence de conflits, réels ou virtuels, qui exige la mise en place d’un pouvoir politique dont la tâche est de prévenir ou de réguler les antagonismes qui traversent la société.

Aucun problème de société n’est intrinsèquement politique, mais n’importe lequel peut le devenir. Ainsi, la question de l’avortement dans les années 1970, le mouvement des sans-papiers dans les années 1980, le financement des retraites à la fin des années 1990, le mariage des homosexuels dans les années 2010 le deviennent lorsqu’ils suscitent des débats et des mobilisations contradictoires si visibles que le pouvoir politique ne peut ou ne veut plus les ignorer. Ce passage au politique entraîne un codage d’un type particulier qui repose sur les mécanismes suivants : émergence de débats conduisant à identifier des victimes (et des responsables) ; réécriture des problèmes catégoriels en problèmes d’intérêt général ou enjeux de valeurs fondamentales ; focalisation des uns sur les carences réelles ou supposées des gouvernants, des autres sur l’incapacité de l’opposition à « faire mieux » ; sous-estimation délibérée enfin des dimensions qui échappent à l’action politique et/ou gouvernementale.

Braud (Philippe), La science politique, 2023

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