Hobbes

Contre les délibérations en grandes assemblées - 2 -

Une autre raison pourquoi une grande assemblée est moins propre aux délibérations est, que chacun de ceux qui opinent est obligé d'user d'un long discours pour expliquer sa pensée, et de l'orner le plus qu'il pourra par son bien dire, afin de la rendre plus agréable à ceux qui l'écoutent et de conserver sa réputation. Or, est-il que c'est le métier de l'éloquence de faire paraître le bien et le mal, l'utile et le dommageable, l'honnête et le déshonnête, plus grands qu'ils ne sont en effet, et de faire passer pour juste ce qui ne l'est point, toutes les fois et quantes que l'orateur estime que cela sert à son intention. Et c'est ce qu'on nomme persuader, et d'où l'on prise les personnes éloquentes. En effet, bien que l'orateur fasse semblant de vouloir raisonner, il ne s'en acquitte qu'à demi, et la plupart de ses raisonnements peu solides sont établis sur de faux principes, qui n'ont que quelque apparence, et sur des opinions vulgaires, qui sont presque toutes fausses; aussi il ne se propose pas de pénétrer dans la nature des choses, mais d'accommoder son discours aux passions de ceux qu'il veut émouvoir. D'où il arrive que les jugements ne se forment guère sur les maximes du bon sens et de la droite raison; mais sortent en désordre, poussés d'un aveugle mouvement de l'âme. En quoi il faut que j'excuse l'orateur et que j'avoue que ce défaut est de l'éloquence plutôt que de lui en particulier. Car les rhétoriciens nous apprennent que l'éloquence ne regarde pas à la vérité comme à son but (si ce n'est par accident), mais à la victoire; et que sa profession n'est pas d'enseigner les hommes, mais de les persuader.
Hobbes, Le Citoyen, ch.X, §11, 1642

Retour à la liste