Popper

Critique et objectivité

Il est totalement erroné de supposer que l’objectivité de la science dépend de l’objectivité de l’homme de science. Et il est totalement erroné de croire que celui qui pratique les sciences de la nature serait plus objectif que celui qui pratique les sciences sociales. Celui qui pratique les sciences de la nature est tout aussi partial que les autres et (…) il est malheureusement courant qu’il soit d’une partialité extrême pour les idées qu’il défend. Certains des physiciens contemporains les plus éminents ont même fondé des écoles qui opposent une résistance acharnée aux idées nouvelles (…).

Ce qu’on peut appeler objectivité scientifique repose uniquement et exclusivement sur la tradition critique qui, en dépit des résistances, rend souvent possible la critique d’un dogme qui prévaut. Autrement dit, l’objectivité de la science n’est pas une question d’individu, intéressant les hommes de science pris à part, mais une question sociale qui résulte de leur critique mutuelle, de la division du travail amicale-hostile entre scientifiques, de leur collaboration autant que de leur rivalité. Elle dépend donc partiellement d’une série de conditions sociales et politiques qui rendent cette critique possible.

L'objectivité repose donc uniquement sur la critique (...). L'objectivité ne peut être expliquée que par des notions sociales telles que la compétition (...), la tradition (à savoir la tradition critique), l'institution sociale (par exemple, les publications dans différentes revues concurrentes (...), le pouvoir de l’État (le fait que la discussion libre soit politiquement tolérée...).(...)

La pureté de la science pure est un idéal probablement impossible à atteindre mais pour lequel la critique se bat sans relâche, et doit se battre sans relâche.

Popper, La logique des sciences sociales, 1979

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