Conche (Marcel)

Dialogue et respect d'autrui

Il y a différentes façons de s’adresser à d’autres hommes. On peut s’adresser à un homme comme on s’adresse à un chien ou à un esclave, simplement pour lui donner un ordre auquel il doit obéir sans le comprendre, ou qu’il peut comprendre mais n’a pas à discuter : alors on exclut que celui à qui on s’adresse ait droit à la parole parce qu’on exclut que la vérité puisse venir de lui. Mais si l’on s’adresse à lui comme à un interlocuteur, que l’on interroge et que l’on écoute, qui répond, interroge, et, de toute façon, écoute, on le considère comme capable de vérité, donc libre, et soi-même on se considère comme capable de vérité et libre, dès que l’on peut répondre à toute question, fût-ce en constatant simplement que l’on ne sait pas. Dans toute conversation, dans tout dialogue, chacun considère, en principe, l’autre homme comme également capable de vérité et libre, donc le considère comme un égal. Un dialogue, une discussion ne peuvent avoir lieu qu’entre égaux. Il faut que chaque participant à la discussion se sente et se trouve avec l’autre ou les autres sur un pied d’égalité. Chacun, en effet, doit être présupposé pouvoir dire quelque chose de juste et de vrai. (...) Tous les hommes, dès lors, sont égaux, en tant qu'ayant cette capacité, ce pouvoir, de mettre en circulation la vérité. Tous les hommes pouvant participer à un dialogue ? Oui, mais tous le peuvent (en droit). Platon, dans le Ménon, choisit comme interlocuteur de Socrate un esclave, voulant montrer que l'interlocuteur peut être n'importe qui.
Conche (Marcel), Le fondement de la morale, 1990

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