La question n'est pas de celles qu'on puisse déclarer superflues, inutiles ou périmées. On ne peut la congédier aujourd'hui sans renonciation majeure. Il suffit, pour s'en convaincre, de songer au génocide hitlérien. L'affirmation que l'Allemagne nazie a conduit pendant plusieurs années une entreprise d'extermination systématique des juifs n'est pas une opinion subjective que l'on serait libre de partager ou de refuser. C'est une vérité. Mais, pour qu'elle ait ce statut objectif, il faut qu'elle repose sur des faits. C'est un fait, par exemple, que les SS ont construit des chambres à gaz dans certains camps, et un fait que l'on peut prouver*.
Les faits sont donc, dans le discours des historiens, l'élément dur, celui qui résiste à la contestation. "Les faits sont têtus", dit-on à juste titre. Le souci des faits en histoire est celui même de l'administration de la preuve, et il est indissociable de la référence. Je viens de donner des références en note sur l'existence des chambres à gaz, parce que telle est la règle de la profession. L'historien ne demande pas qu'on le croie sur parole, sous prétexte qu'il serait un professionnel qui connaîtrait son métier, bien que ce soit en général le cas. Il donne au lecteur le moyen de vérifier ce qu'il affirme; les "procédés d'exposition strictement scientifique" que G. Monod** revendiquait pour la Revue historique veulent que "chaque affirmation soit accompagnée de preuves, de renvois aux sources et de citations". De l'école méthodique à celle des Annales (...), l'unanimité règne sur ce point : c'est bien la règle commune de la profession.
Pas d'affirmations sans preuves, c'est-Ă -dire pas d'histoire sans faits.