Heidegger

La dictature du On

(...) Le Dasein se tient, en tant qu'ĂȘtre-en-compagnie quotidien, sous l'emprise des autres. Il n'est pas lui-mĂȘme; l'ĂȘtre, les autres le lui ont confisquĂ©. Le bon plaisir des autres dispose des possibilitĂ©s d'ĂȘtre quotidiennes du Dasein. Par lĂ  ces autres ne sont pas des autres dĂ©terminĂ©s. Au contraire, chaque autre peut en tenir lieu. La seule chose dĂ©cisive en pareil cas est que la domination des autres se remarque si peu que, sans s'en rendre compte, le Dasein en tant qu'ĂȘtre-avec l'a dĂ©jĂ  reprise Ă  son compte. On fait soi-mĂȘme partie des autres et on renforce leur puissance. "Les autres", comme on les appelle pour camoufler l'essentielle appartenance Ă  eux qui nous est propre, sont ceux qui, dans l'ĂȘtre-en-compagnie quotidien, d'abord et le plus souvent "sont lĂ ". Le qui, ce n'est ni celui-ci, ni celui-lĂ , ni nous autres, ni quelques-uns, ni la somme de tous. Le "qui" est le neutre, le on.

(...) Dans l'usage des moyens publics de transport en commun et dans le recours Ă  des organes d'information (journal), chaque autre Ă©quivaut l'autre. Cet ĂȘtre-en-compagnie fond complĂštement le Dasein qui m'est propre dans le genre d'ĂȘtre des "autres" Ă  tel point que les autres s'effacent Ă  force d'ĂȘtre indiffĂ©renciĂ©s et anodins. C'est ainsi, sans attirer l'attention, que le on Ă©tend imperceptiblement la dictature qui porte sa marque. Nous nous rĂ©jouissons et nous nous amusons comme on se rĂ©jouit; nous lisons, voyons et jugeons en matiĂšre de littĂ©rature et d'art comme on voit et juge; mais nous nous retirons aussi de la "grande masse" comme on s'en retire; nous trouvons "rĂ©voltant" ce que l'on trouve rĂ©voltant. Le on qui n'est rien de dĂ©terminĂ© et que tous sont, encore que pas Ă  titre de somme, prescrit le genre d'ĂȘtre Ă  la quotidiennetĂ©.

Heidegger, Être et temps, §27, 1927

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