Revenons à notre dinde. Russell nous enseigne que sitôt arrivée à la ferme, la dinde prit bonne note que le maître de maison la nourrissait chaque matin sur le coup de 9 heures. L’animal, fort prudent, se garda bien de conclure trop promptement et préféra attendre que l’expérience se répète durablement. Les jours suivirent et confirmèrent effectivement la régularité du fermier. Qu’il neige, vente, ou pleuve, celui-ci, pas une fois, ne manquait à sa tâche. Dame dinde était nourrie, et fort généreusement, à 9 heures précises chaque matin. Quelle joie s’emparait du gallinacé lorsque s’approchait l’instant de la pitance ! Chaque matin, la dinde se fendait de vocalises pour célébrer la ripaille. Sa reconnaissance grandissait à mesure que se vidaient ses gamelles.
Vint le jour de Noël. La dinde salivait déjà depuis de longues minutes. Le regard fixe, elle guettait l’arrivée de sa nourrice. Dans sa tête, mille raisonnements fusaient. L’inductiviste, tout à son aise, si habile à manier ses observations, attendait de plein droit son repas. Or, la logique de dame dinde avait ses failles. Ou mieux, elle ne s’appliquait pas nécessairement à la réalité. 9 heures sonnèrent donc sans rien à béqueter. Le bec vide, elle attendait toujours. Le pire advint. Le soir, feu la dinde devait mijoter dans une marmite tandis qu’on entendait des «joyeux Noël». Telle furent les heurts et le malheur de la logicienne.