Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans des combats effectifs; mais dans un espace de temps où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée : on doit par conséquent tenir compte, relativement à la nature de la guerre, de la notion de durée, comme, comme on en tient compte, relativement à la nature du temps qu'il fait. De même en effet que la nature du mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance qui va dans ce sens, pendant un grand nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne consiste pas dans un combat effectif, mais dans une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu'il n'y a pas assurance du contraire. Tout autre temps se nomme
Paix.
C'est pourquoi toutes les conséquences d'un temps de guerre où chacun est l'ennemi de chacun, se retrouvent aussi en un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle dont les munissent leur propre force ou leur propre ingéniosité. Dans un tel état, il n'y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n'en est pas assuré; et conséquemment il ne s'y trouve ni agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importées par mer; pas de constructions commodes; pas d'appareils capables de mouvoir ou d'enlever les choses qui pour se faire exigent beaucoup de force; pas de connaissance de la face de la terre; pas de computation du temps; pas d'arts, pas de lettres; pas de société; et ce qui est pire que tout, la crainte et le risque continuels d'une mort violente; la vie de l'homme est alors solitaire, besogneuse, pénible, quasi-animale et brève.