Quel que soit l'objet sur lequel elle porte, la critique n'est pas affaire de débutant, comme le montrent bien les difficultés des étudiants aux prises avec un texte. Il faut déjà être historien pour critiquer un document, car il s'agit, pour l'essentiel, de le confronter avec tout ce que l'on sait déjà du sujet qu'il traite, du lieu et du moment qu'il concerne. En un sens, la critique, c'est l'histoire même, et elle s'affine au fur et à mesure que l'histoire s'approfondit et s'élargit.
On le voit à l'évidence à chaque étape qu'analysent les maîtres de la méthode critique, Langlois et Seignobos*. Ils distinguent critique externe et critique interne. La critique externe porte sur les caractères matériels du document : son papier, son encre, son écriture, les sceaux qui l'accompagnent; la critique interne sur la cohérence du texte, par exemple sur la compatibilité entre la date qu'il porte et les faits dont il parle.
Les médiévistes comme Langlois, confrontés à de nombreux diplômes royaux ou décrets pontificaux apocryphes, sont très attentifs à la critique externe pour distinguer le document authentique du faux. Les sciences auxiliaires de l'histoire constituent en ce domaine de précieux auxiliaires. La paléographie, ou science des vieilles écritures, permet de dire si la graphie d'un manuscrit correspond à sa date prétendue. La diplomatique enseigne les conventions suivant lesquelles les documents étaient composés : comment ils commençaient, comment étaient composés l'introduction et le corps du doucument (le dispositif), comment on désignait le signataire, avec quels titres et dans quel ordre(la titulature); la sigillographie répertorie les divers sceaux et leurs dates d'emploi. L'épigraphie indique les règles suivant lesquelles étaient ordinairement composées dans l'Antiquité les inscriptions, notamment funéraires.
Ainsi armée, la critique externe peut discerner les documents probablement authentiques des faux, ou de ceux qui ont subi des modifications (critique de provenance). Il est clair, par exemple, qu'une charte écrite sur papier, et non sur parchemin, qui se prétend du XIIe siècle est un faux. Éventuellement la critique rétablit le document original après l'avoir dépouillé de ses adjonctions, ou avoir restitué les parties manquantes, comme on le fait souvent pour les inscriptions romaines ou grecques (critique de restitution).
Ce point établi, l'historien n'est pas encore au bout de ses peines. Que le document soit ou non authentique ne dit rien sur son sens. Une copie de diplôme mérovingien faite trois siècles après l'original n'est pas un document authentique. Ce n'est pourtant pas nécessairement un faux. La copie peut avoir été faite fidèlement. La critique interne examine alors la cohérence du texte et s'interroge sur sa compatibilité avec ce que l'on connaît par ailleurs des documents analogues. La critique interne procède toujours par rapprochements : si nous ignorions tout d'une période, ou d'un type de document, aucune critique ne serait possible.