Le religieux est donc loin d'être « inutile ». Il déshumanise la violence, il soustrait à l'homme sa violence afin de l'en protéger, faisant d'elle une menace transcendante et toujours présente qui exige d'être apaisée par des rites appropriés ainsi que par une conduite modeste et prudente. Le religieux libère vraiment l'humanité car il délivre les hommes des soupçons qui les empoisonneraient s'ils se remémoraient la crise telle qu'elle s'est réellement déroulée.
Penser religieusement, c'est penser le destin de la cité en fonction de cette violence qui maîtrise l'homme d'autant plus implacablement que l'homme se croit plus à même de la maîtriser. C'est donc penser cette violence comme surhumaine, pour la tenir à distance, pour renoncer à elle. Quand l'adoration terrifiée faiblit, quand les différences commencent à s'effacer, les sacrifices rituels perdent leur efficacité : ils ne sont plus agréés. Chacun prétend redresser lui-même la situation mais personne n'y parvient : le dépérissement même de la transcendance fait qu'il n'y a plus la moindre différence entre le désir de sauver la cité et l'ambition la plus démesurée, entre la piété la plus sincère et le désir de se diviniser.