Kant

Liberté et moralité

La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants, en tant qu'ils sont raisonnables, et la liberté serait la pro­priété qu'aurait cette causalité de pouvoir agir indépendam­ment de causes étrangères qui la déterminent; de même que la nécessité naturelle est la propriété qu'a la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d'être déterminée à agir par l'influence de causes étrangères.

La définition qui vient d'être donnée de la liberté est négative, et par conséquent, pour en saisir l'essence, infé­conde; mais il en découle un concept positif de la liberté, qui est d'autant plus riche et plus fécond. Comme le concept d'une causalité implique en lui celui de lois, d'après lesquelles quelque chose que nous nommons effet doit être posé par quelque autre chose qui est la cause, la liberté, bien qu'elle ne soit pas une propriété de la volonté se conformant à des lois de la nature, n'est pas cependant pour cela en dehors de toute loi; au contraire, elle doit être une causalité agissant selon des lois immuables, mais des lois d'une espèce particulière, car autrement une volonté libre serait un pur rien. La nécessité naturelle est, elle, une hété­ronomie des causes efficientes; car tout effet n'est alors pos­sible que suivant cette loi, que quelque chose d'autre déter­mine la cause efficiente de la causalité. En quoi donc peut bien consister la liberté de la volonté, sinon dans une auto­nomie, c'est-à-dire dans la propriété qu'elle a d'être à elle-même sa loi ? Or cette proposition : la volonté dans toutes les actions est à elle-même sa loi, n'est qu'une autre for­mule de ce principe: il ne faut agir que d'après une maxime qui puisse aussi se prendre elle-même pour objet à titre de loi universelle. Mais c'est précisément la formule de l'impératif catégorique et le principe de la moralité; une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose.

Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, 1785

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