Le dualisme de la pensée et de la matière affirmé par Descartes est la forme moderne qu’a prise la disqualification ancestrale du corps. Avec lui, l’homme ne devait qu’à son âme d’échapper à l’animal et au traitement strictement mécaniste dont relève le corps qu’il a en commun avec lui. Même lorsqu’ils combattront le dualisme pour privilégier une conception de la matière dotée de sensibilité et susceptible de produire l’intelligence la plus élaborée, les Temps modernes que Descartes inaugure restent convaincus que le corps représente l’inessentiel en nous – la part d’hétéronomie qui empêche que nous atteignions l’émancipation à laquelle nous aspirons. C’est dire combien l’on s’est persuadé de ce que l’autonomie, cet idéal des Modernes, doit en finir, d’une manière ou d’une autre, avec le corps. De là à envisager que nous n’avons depuis toujours d’autre obsession que celle de mettre à la raison ce corps qui nous impose des limites, de le discipliner jusqu’à l’effacer, il n’y a qu’un pas.
Au fond, l’obsession du corps parfait que traduisent tant de nos contemporains ne dit peut-être rien d’autre que ce refus de la finitude qui réside au cœur de toute métaphysique et, aujourd’hui, au principe des utopies posthumaines. La spiritualité à laquelle on dit et redit – avec Malraux ou sans lui – que notre siècle est voué n’est peut-être que l’expression de ce paradoxal désir de dépasser la corporéité qui nous rive au sol et nous condamne à mourir un jour.