Surtout il leur dira qu'Ã l'enseignement historique incombe le devoir glorieux de faire aimer et de faire comprendre la patrie.
Le patriotisme a besoin d'être cultivé, nous entendons le vrai patriotisme, très rare, hélas ! dans notre pays. (...)
Le vrai patriotisme est à la fois un sentiment et la notion d'un devoir. Or, tous les sentiments sont susceptibles d'une culture, et toute notion, d'un enseignement. L'histoire doit cultiver le sentiment et préciser la notion. (...) Il y a dans le passé le plus lointain une poésie qu'il faut verser dans les jeunes âmes pour y fortifier le sentiment patriotique. Faisons-leur aimer nos ancêtres gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Godefroi de Bouillon à Jérusalem, Jeanne d'Arc, Bayard, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes; car c'est un malheur que nos légendes s'oublient, que nous n'ayons plus de contes du foyer (...). Un pays comme la France ne peut vivre sans poésie. Et puisque nos poètes, même quand ils sont démocrates, n'écrivent point pour le peuple; puisque la religion ne sait plus avoir prise sur les âmes; puisque le paysan n'est plus guère occupé que de la matière et passionné que pour des intérêts, cherchons dans l'âme des enfants l’étincelle divine; animons cette étincelle de notre souffle, et qu'elle échauffe ces âmes réservées à de grands devoirs.
Les devoirs, il sera d'autant plus aisé de les faire comprendre que l'imagination des élèves, charmée par des peintures et par des récits, rendra leur raison enfantine plus attentive et plus docile. Tout l'enseignement du devoir patriotique se réduit à ceci : expliquer que les hommes qui, depuis des siècles, vivent sur la terre de France, ont fait, par l'action et par la pensée, une certaine oeuvre, à laquelle chaque génération a travaillé; qu'un lien nous rattache à ceux qui ont vécu, à ceux qui vivront sur cette terre; que nos ancêtres, c'est nous dans le passé; que nos descendants, ce sera nous dans l'avenir. Il y a donc une oeuvre française, continue et collective : chaque génération y a sa part, et, dans cette génération, tout individu a la sienne.
Enseignement moral et patriotique : là doit aboutir l'enseignement de l'histoire à l'école primaire. S'il ne doit laisser dans la mémoire que des noms, c'est-à -dire des mots, et des dates, c'est-à -dire des chiffres, autant vaut donner plus de temps à la grammaire et à l'arithmétique, et ne pas dire un mot d'histoire. Rompons avec les habitudes acquises et transmises; n'enseignons point l'histoire avec le calme qui sied à l'enseignement de la règle des participes. Il s'agit ici de la chair de notre chair et du sang de notre sang. Pour tout dire, si l'écolier n'emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales; s'il ne sait pas que ses ancêtres ont combattu sur mille champs de bataille pour de nobles causes; s'il n'a pas appris ce qu'il a coûté de sang et d'efforts pour faire l'unité de notre patrie, et dégager ensuite du chaos de nos institutions vieillies les lois sacrées qui nous ont faits libres; s'il ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son drapeau, l'instituteur aura perdu son temps.