D'Holbach
Qu'est-ce qu'un athée ?
Qu’est-ce en effet qu’un athée ? C’est un homme qui détruit des chimères nuisibles au genre humain pour ramener les hommes à la nature, à l’expérience, à la raison. C’est un penseur qui, ayant médité la matière, son énergie, ses propriétés et ses façons d’agir, n’a pas besoin, pour expliquer les phénomènes de l’univers et les opérations de la nature, d’imaginer des puissances idéales, des intelligences imaginaires, des êtres de raison, qui, loin de faire mieux connaître cette nature, ne font que la rendre capricieuse, inexplicable, méconnaissable, inutile au bonheur des humains.[…] Si par athées l’on entend des hommes dépourvus d’enthousiasme, guidés par l’expérience et le témoignage de leur sens, qui ne voient dans la nature que ce qui s’y trouve réellement ou ce qu’ils sont à portée d’y connaître, qui n’aperçoivent et ne peuvent apercevoir que de la matière, essentiellement active et mobile, diversement combinée, jouissant par elle-même de diverses propriétés, et capable de produire tous les êtres que nous voyons ; si par athées l’on entend des physiciens convaincus que, sans recourir à une cause chimérique, l’on peut tout expliquer par les seuls lois du mouvement, par les rapports subsistants entre les êtres, par leur affinités, leurs analogies, leurs attractions et leurs répulsions, leurs proportions, leurs compositions et leurs décompositions ; si par athées l’on entend des gens qui ne savent point ce qu’est un esprit et qui ne voient point le besoin de spiritualiser ou de rendre incompréhensibles des causes corporelles, sensibles et naturelles, qu’ils voient uniquement agir, et qui ne trouvent pas que ce soit un moyen de mieux connaître la force motrice de l’univers que de l’en séparer pour la donner à un être placé hors du grand tout, à un être d’une essence totalement inconcevable, et dont on ne peut indiquer le séjour ; si par athées l’on entend des hommes qui conviennent de bonne foi que leur esprit ne peut ni concevoir ni concilier les attributs négatifs que l’on attribue à la divinité, ou des hommes qui prétendent que de cet alliage incompatible il ne peut résulter qu’un être de raison, vu qu’un pur esprit est destitué des organes nécessaires pour exercer des qualités et des facultés humaines ; si par athées l’on désigne des hommes qui rejettent un fantôme, dont les qualités odieuses et disparates ne sont propres qu’à troubler et à plonger le genre humain dans une démence très nuisible ; si, dis-je, des penseurs de cette espèce sont ceux que l’on nomme des athées, l’on ne peut douter de leur existence, et il y en aurait un très grand nombre, si les lumières de la saine physique et de la droite raison étaient plus répandues ; pour lors, ils ne seraient pas regardés ni comme des insensés ni comme des furieux, mais comme des hommes sans préjugés, dont les opinions, ou si l’on veut l’ignorance, seraient bien plus utiles au genre humain que les sciences et les vaines hypothèses qui depuis longtemps sont les vraies causes de ses maux.
D'Holbach, Système de la nature (1770), partie II, chapitre XI, 1770