Mais, dès qu'on cherche à délimiter pratiquement le terrain de l'histoire, dès qu'on essaie de tracer les limites entre une science historique des faits humains du passé et une science actuelle des faits humains du présent, on s'apercçoit que cette limite ne peut pas être établie, parce qu'en réalité
il n'y a pas de faits qui soient historiques par leur nature, comme il y a des faits physiologiques ou biologiques. Dans l'usage vulgaire le mot "historique" est pris encore dans le sens antique : digne d'être raconté; on dit en ce sens une "journée historique", un "mot historique". Mais cette notion de l'histoire est abandonnée; tout incident passé fait partie de l'histoire, aussi bien le costume porté par un paysan du XVIIIe siècle que la prise de la Bastille; et les motifs qui font paraître un fait digne de mention sont infiniment variables.
L'histoire embrasse l'étude de tous les faits passés, politiques, intellectuels, économiques, dont la plupart ont passé inaperçus. Il semblerait donc que les faits historiques puissent être définis : les "faits passés", par opposition aux faits actuels qui sont l'objet des sciences descriptives de l'humanité. C'est précisément cette opposition qu'il est impossible de maintenir en pratique. Etre présent ou passé n'est pas une différence de caractère interne, tenant à la nature d'un fait; ce n'est qu'une différence de position par rapport à un observateur donné. (...)
Il n'y a donc pas de faits historiques par leur nature; il n'y a de faits historiques que par position. Est historique tout fait qu'on ne peut plus observer directement parce qu'il a cessé d'exister. Il n'y a pas de caractère historique inhérent aux faits, il n'y a d'historique que la façon de les connaître.