Mill

Réponse aux critiques de l'hédonisme utilitariste

Or, une semblable conception de la vie provoque chez beaucoup de gens (...) une profonde répugnance. Admettre que la vie - pour employer leurs expressions - n'a pas de fin plus haute que le plaisir, qu'on ne peut désirer et poursuivre d'objet meilleur et plus noble, c'est, à les en croire, chose absolument basse et vile; c'est une doctrine qui ne convient qu'au porc, auquel, à une époque très reculée, on assimilait avec mépris les disciples d’Épicure; et, à l'occasion, les partisans modernes de la doctrine donnent lieu à des comparaisons tout aussi courtoises de la part de leurs antagonistes allemands, français et anglais.

Ainsi attaqués, les Épicuriens ont toujours répliqué que ce n'est pas eux, mais leurs accusateurs, qui représentent la nature humaine sous un jour dégradant; l'accusation suppose en effet que les êtres humains ne sont pas capables d'éprouver d'autres plaisirs que ceux que peut éprouver le porc. Si cette supposition était fondée, l'imputation mise à leur charge ne pourrait être écartée, mais elle cesserait immédiatement d'impliquer un blâme; car si les sources de plaisir étaient exactement les mêmes pour les êtres humains et pour le porc, la règle de vie qui est assez bonne pour l'un serait assez bonne pour les autres. Si le rapprochement que l'on fait entre la vie épicurienne et celle des bêtes donne le sentiment d'une dégradation, c'est précisément parce que les plaisirs d'une bête ne répondent pas aux conceptions qu'un être humain se fait du bonheur. Les êtres humains ont des facultés plus élevées que les appétits animaux et, lorsqu'ils ont pris conscience de ces facultés, ils n'envisagent plus comme étant le bonheur un état où elles ne trouveraient pas satisfaction. (...) Mais on ne connaît pas une seule théorie épicurienne de la vie qui n'assigne aux plaisirs que nous devons à l'intelligence, à la sensibilité [feelings], à l'imagination et aux sentiments moraux une bien plus haute valeur comme plaisirs qu'à ceux que procure la pure sensation.

Mill, L'utilitarisme, ch.II, 2ème objection, 1863

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