Girard (René)

Religion et violence

Si la crise mimétique et le lynchage fondateur se produisent réellement, s’il est vrai que les communautés humaines peuvent se dissoudre et se dissolvent périodiquement dans la violence mimétique pour se tirer d’affaire, in extremis, par la victime émissaire, les systèmes religieux, en dépit des transfigurations qui viennent de l’interprétation sacrée, reposent réellement sur une observation aiguë des conduites qui entraînent les hommes dans la violence ainsi que du processus étrange qui peut y mettre fin. Ce sont ces conduites, grosso modo, qu’elles interdisent, et c’est ce processus, grosso modo, qu’elles reproduisent dans leurs rites. (...)

Le religieux violent n’aurait pas conservé jusqu’à ces dernières années l’emprise prodigieuse qu’il a exercée sur l’humanité pendant la quasi-totalité de son histoire, s’il n’y avait rien d’autre en lui que les balivernes auxquelles on l’a ramené, des philosophes rationalistes à la psychanalyse. Sa puissance vient de ce qu’il dit réellement aux hommes ce qu’il faut faire et ne pas faire pour que les rapports restent tolérables au sein des communautés humaines, dans un certain contexte culturel.

Le sacré, c’est l’ensemble des postulats auxquels l’esprit humain est amené par les transferts collectifs sur les victimes réconciliatrices, au terme des crises mimétiques. Loin de constituer un abandon à l’irrationnel, le sacré constitue la seule hypothèse possible, pour les hommes, tant que ces transferts subsistent dans leur intégrité.

Girard (René), Des choses cachées depuis la fondation du monde, 1978

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