Russell (Bertrand)
Science et religion (2) : Comparaison des démarches de la science et de la théologie médiévale
La manière dont la science parvient à ses convictions est entièrement différente de celle de la théologie médiévale. L’expérience a montré qu’il était dangereux de partir de principes généraux et de procéder par déduction, d’abord parce que les principes peuvent être faux, ensuite parce que le raisonnement basé sur ces principes peut être erroné. La science part, non d’hypothèses générales, mais de faits particuliers, découverts par observation ou par expérimentation. À partir d’un certain nombre de ces faits, on parvient à une règle générale, dont, si elle est vraie, les faits en question sont des cas particuliers. Cette règle n’est pas positivement affirmée, mais acceptée pour commencer comme hypothèse de travail. Si elle est correcte, certains phénomènes non encore observés doivent se produire dans certaines circonstances. Si l’on constate qu’ils se produisent effectivement, cela contribue à confirmer l’hypothèse ; sinon, il faut la rejeter et en inventer une autre. Quel que soit le nombre des faits qui confirment l’hypothèse, cela ne la rend pas certaine, bien qu’on puisse finir par la considérer comme hautement probable : dans ce cas, on l’appelle « théorie » et non plus « hypothèse ». Un certain nombre de théories différentes, reposant chacune sur des faits, peuvent servir de base à une hypothèse nouvelle et plus générale, dont, si elle est vraie, elles dérivent toutes ; et aucune limite ne peut être fixée à ce processus de généralisation. Mais si, pour la pensée médiévale, les principes les plus généraux étaient le point de départ, pour la science, ils constituent un aboutissement provisoire, tout en pouvant devenir plus tard des cas particuliers d’une loi plus générale encore.
Russell (Bertrand), Science et religion, ch.1, 1935