Dans l'analyse de Harry Braverman, le coupable numéro un est le "management scientifique" ou l'organisation scientifique du travail (...). C'est Frederick Winslow Taylor qui a exposé pour la première fois avec le plus de franchise les principes du management scientifique dans son ouvrage du même nom, qui exerça une énorme influence pendant les premières décennies du XXe siècle. (...) Comme l'explique Taylor, "les managers assument (...) le fardeau du collecter le savoir traditionnel accumulé tout au long du passé par les travailleurs et de classifier, tabuler ce savoir et de le réduire à des règles, des lois, des formules" (Taylor,
Principes du management scientifique, 1915). C'est ainsi que le savoir professionnel dispersé est concentré entre les mains de l'employeur, puis resservi aux travailleurs sous la forme d'instructions détaillées leur permettant d’exécuter une
partie de ce qui est désormais un
procès de travail. Ce processus remplace ce qui était hier une activité intégrale, enracinée dans la tradition et l'expérience d'un métier, animée par l'intentionnalité du travailleur et l'image du produit fini qu'il formait dans son esprit. Par conséquent, poursuit Taylor, "toute forme de travail cérébral devrait être éliminée de l'atelier et recentrée au sein du département conception et planification" (ibid.)
Il serait erroné de penser que l'objectif primaire de cette séparation est de rendre le procès de travail plus efficace. (...) Car c'est plutôt la question du coût du travail qui compte ici. Une fois que les aspects cognitifs du travail ont été accaparés par une classe managériale séparée des travailleurs, ou mieux encore, une fois qu'ils ont été incorporés à un processus automatique qui ne requiert aucune forme de jugement ou de délibération, les travailleurs qualifiés peuvent être remplacés par des travailleurs non qualifiés moins bien payés.