Mais que s'est-il passé quand Moise descendit la première fois du mont Sinaï avec les tables de la loi, avant même qu'il n'ait pu proclamer le sixième commandement ? Il a découvert une "hérésie digne de la mort", l'hérésie du Veau d'Or. Il a oublié le sixième commandement et a crié (je cite en substance la traduction de Luther) : "Que vienne à moi, celui qui appartient au Seigneur, le Dieu d'Israël : que chacun ceigne son glaive à ses côtés, que chacun étrangle qui son frère, qui son ami et qui son proche. Et ainsi tombèrent du peuple, en ce jour, trois mille hommes."
Ainsi peut-être tout a commencé. Mais il est certain que cela s'est perpétué, particulièrement après l'instauration du christianisme en religion d'État. C'est l'histoire effrayante des persécutions religieuses, persécutions au nom de l'orthodoxie. Plus tard - surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles - s'ajoutèrent d'autres convictions idéologiques pour justifier la persécution, la barbarie et la terreur : la nationalité, la race, l'orthodoxie politique.
Dans l'idée d'orthodoxie et d'hérésie se cachent les vices les plus mesquins ; ces vices auxquels les intellectuels sont particulièrement sujets : l'arrogance, l'ergotage, la certitude, la vanité intellectuelle. Ce sont des vices mesquins - moins importants que la cruauté.
Le titre de ma conférence, "Tolérance et responsabilité intellectuelle", fait allusion à un argument de Voltaire à propos de la tolérance. Voltaire demande : "Qu'est-ce que la tolérance ?" Et il répond (je traduis librement) : "La tolérance est la conséquence nécessaire de la conscience que nous avons d'être faillibles. L'erreur est humaine, et nous faisons tous sans cesse des fautes. Pardonnons-nous réciproquement nos bêtises. C'est la première loi de la nature."
Voltaire en appelle à notre honnêteté intellectuelle. Nous devons assumer nos faiblesses, notre ignorance. Voltaire sait parfaitement qu'il y a des fanatiques à la conviction inébranlable. Mais leur conviction est-elle tout à fait honnête ? Ont-ils eux-mêmes examiné honnêtement leurs convictions et les raisons de ces dernières ? Et l'examen critique de soi n'est-il pas une composante de toute honnêteté intellectuelle ? Le fanatisme n'est-il pas un essai pour couvrir notre propre incroyance inavouée, que nous avons réprimée et qui, pour cette raison, ne nous est seulement qu'à moitié consciente ?
L'appel de Voltaire à notre humilité intellectuelle, et avant tout son appel à notre honnêteté intellectuelle, a en son temps fortement impressionné les intellectuels. Je voudrais renouveler ici cet appel.