Et pourtant il n'est d'existence qui soit humaine que si elle sait parvenir à exorciser ce retour indéfini de la violence, la repérer, en mettre à jour le jeu pervers, se prémunir contre elle dans l'espace commun de la vie sociale, se garder contre son retour chaque fois que l'existence voit se tourner vers elle le visage d'un autre et tourne son propre visage vers un autre qu'elle sollicite. Pacifier l'espace de nos relations n'est pas seulement nécessaire pour rendre notre monde habitable (il faut un minimum de paix pour que nous soyons en mesure de travailler avec un autre, d'échanger, de simplement vivre). Cela est aussi la condition pour que l'existant devienne réellement et vraiment un être humain. (...)
L'entrée dans l'existence pour chacun, comme le déroulement commun de l'histoire des sociétés, se fait sous le signe d'une violence brutale ou bien déjà feutrée par le système de l'organisation de l'espace social, mais d'une violence toujours implacable car l'enjeu de l'affrontement de l'homme avec l'homme ne tient pas à la seule convoitise de choses qu'ils veulent s'approprier l'un et l'autre : il ne renvoie pas au seul domaine de l'avoir (par le biais de l'appropriation et du maintien de la possession), il renvoie au domaine de l'être. La convoitise pour l'appropriation et pour le maintien de la possession engendre le conflit (et donc la violence et la peur), cela est un fait puisque les choses du monde qui sont ainsi disputées ne sont, somme toute, qu'en nombre limité. Beaucoup plus insidieux et lourd de conséquences le conflit qui porte sur l'être (pour la gloire et le prestige), car être le plus fort et capable de dominer un autre ou des autres donne au maître une garantie qui semble le garantir contre toute menace. Et en premier lieu, le garantir contre la peur de sa propre fragilité.