Par une froide journée d'hiver, un troupeau de porcs-épics s'était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s'éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu'ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux souffrances, jusqu'à ce qu'ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu'ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c'est la politesse et les belles manières. En Angleterre, on crie à celui qui ne se tient pas à distance : Keep your distance! - Par ce moyen, le besoin de chauffage mutuel n'est, à la vérité, satisfait qu'à moitié, mais en revanche on ne ressent pas la blessure des piquants. - Celui-là cependant qui possède beaucoup de calorique propre préfère rester en dehors de la société pour n'éprouver ni ne causer de peine.
Schopenhauer, Parerga et Paralipomena, 1851.
L'humain est-il fait pour vivre seul ? Que provoque ou pourrait provoquer une solitude extrême, radicale ? Les deux références qui suivent permettent d'explorer ces questions. L'une en réfléchissant sur les cas, réels, de ce qu'il est convenu d'appeler des "enfants sauvages"; l'autre, en passant par la fiction, comme pour imaginer une expérience de pensée.
Nous venons de voir que nous ne pouvions vivre seul, qu'un monde sans autrui est impossible. Cela veut-il dire que vivre avec les autres est aisé ? Evidemment pas. Lorsqu'ils vivent en société, les hommes on certes besoin les uns des autres, mais en même temps ils ne se supportent pas. Ils ne cessent de se "gêner", de se heurter (dans tous les sens du terme) les uns les autres. Les deux textes qui suivent font état de cette ambivalence des relations humaines.
Subjectivité - Identité/Altérité - Intersubjectivité - Sympathie - Empathie - Analogie - Solipsisme - Respect - Dignité/Prix - Moyen/fin - Relatif/absolu